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 Majjhima Nikaya 11

Cula-sihanada Sutta

Le petit discours sur le rugissement du lion

D'après la traduction du Pâli à l'Anglais par Ñanamoli Thera
publié et révisé par Bhikkhu Bodhi.

Pour libre distribution. Cet ouvrage peut être republié, reformaté, réimprimé et redistribué par n'importe quel média. L'auteur désire cependant que toute ces republications et redistributions soient mises à disposition du public librement et sans restriction aucune, et que les traductions et autres travaux dérivés soient clairement identifiés comme tels.

Tiré de The Lion's Roar: Two Discourses of the Buddha (WH 390/391), publié et révisé par Bhikkhu Bodhi, (Kandy: Buddhist Publication Society, 1991). Copyright ©1993 Buddhist Publication Society. Avec permission.


1. Ainsi l'ai-je entendu. En une occasion le Béni du Ciel habitait à Savatthi au Bosquet de Jeta, le parc d'Anathapindika. Là il s'adressa aux bhikkhus comme suit: "Bhikkhus." -- "Vénérable monsieur," répondirent-ils. Le Béni du Ciel dit ceci:

2. "Bhikkhus, ici seulement y a-t-il un ermite, ici seulement un second ermite, ici seulement un troisième ermite, ici seulement un quatrième ermite. Les doctrines des autres sont dépourvues[*p.64] d'ermites: c'est ainsi que vous devriez correctement rugir votre rugissement de lion.[1]

3. "Il est possible, bhikkhus, que des errants des autres écoles puissent demander: 'Mais sur la force de quel (argument) ou avec le soutien de quelle (autorité) est-ce que les vénérables disent ainsi?' Les errants des autres écoles qui demandent cela, on peut leur répondre comme suit: 'Amis, quatre choses nous ont été déclarées par le Béni du Ciel qui sait et voit, accompli et pleinement éveillé; en voyant ces choses en nous-mêmes nous disons comme suit: "Ici seulement y a-t-il un ermite, ici seulement un second ermite, ici seulement un troisième ermite, ici seulement un quatrième ermite. Les doctrines des autres sont dépourvues d'ermites." Quelles sont ces quatre? Nous avons confiance en l'Enseignant, nous avons confiance dans le Dhamma, nous avons mis en pratique les préceptes, et nos compagnons dans le Dhamma nous sont chers et agréables qu'ils soient des laïcs ou de ceux qui sont partis. Ce sont là les quatre choses que nous a déclaré le Béni du Ciel qui sait et voit, accompli et pleinement éveillé, en voyant ce que en nous-mêmes nous disons comme nous le faisons.'

4. "Il est possible, bhikkhus, que des errants des autres écoles puissent dire comme suit: 'Amis, nous aussi avons confiance en l'Enseignant, c'est-à-dire, dans notre Enseignant; nous aussi avons confiance dans le Dhamma, c'est-à-dire, dans notre Dhamma; nous aussi avons mis en pratique les préceptes, c'est-à-dire, nos préceptes; nos compagnons dans le Dhamma nous sont chers et agréables aussi qu'ils soient des laïcs ou de ceux qui sont partis. Quelle est la distinction ici, amis, quelle est la différence, qu'est-ce qui change entre vous et nous?'

5. "Les errants des autres écoles qui demandent cela, on peut leur répondre comme suit: 'Comment donc, amis, le but est-il un ou multiple?' En répondant correctement, les errants des autres écoles répondraient comme suit: 'Amis, le but est un, pas multiple.'[2] -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui est touché par le désir charnel ou qui est exempt de désir charnel?' En répondant correctement, les errants des autres écoles répondraient comme suit: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui est exempt de désir charnel, pas pour quelqu'un qui est touché par le désir charnel.' -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui est touché par la haine ou qui est exempt de haine?' En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui est exempt de haine, pas pour quelqu'un qui est touché par la haine.' -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui est touché par l'illusion ou qui est exempt d'illusion?' En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui est exempt d'illusion, pas pour quelqu'un qui est touché par l'illusion.' -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui est touché par l'envie insatiable ou qui est exempt de l'envie insatiable?'[*p.65] En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui est exempt de l'envie insatiable, pas pour quelqu'un qui est touché par l'envie insatiable.' -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui est touché par l'attachement ou qui est exempt de l'attachement?' En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui est exempt de l'attachement, pas pour quelqu'un qui est touché par l'attachement.' -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui a la vision ou pour quelqu'un sans vision?' En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui a la vision, pas pour quelqu'un sans vision.' -- 'Mais, amis, ce but est-il pour quelqu'un qui préfère et oppose, ou pour quelqu'un qui ne préfère ni n'oppose?' En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui ne préfère ni n'oppose, pas pour quelqu'un qui préfère et oppose.'[3] -- 'Mais, amis ce but est-il pour quelqu'un qui se régale et jouit de la prolifération, ou pour quelqu'un qui ne se régale ni ne jouit de la prolifération?' En répondant correctement, ils répondraient: 'Amis, ce but est pour quelqu'un qui ne se régale ni ne jouit de la prolifération, pas pour quelqu'un qui se régale et jouit de la prolifération.'[4]

6. "Bhikkhus, il y a ces deux vues: la vue de l'être et la vue du non-être. Tous ermites ou brahmanes qui se fient à la vue de l'être, adoptent la vue de l'être, acceptent la vue de l'être, sont opposés à la vue du non-être. Tous ermites ou brahmanes qui se fient à la vue du non-être, adoptent la vue du non-être, acceptent la vue du non-être, sont opposés à la vue de l'être.[5]

7. "Tous ermites ou brahmanes qui ne comprennent pas tels qu'ils sont réellement l'origine, la disparition, la gratification, le danger et le moyen d'échapper[6] dans le cas de ces deux vues sont touchés par le désir charnel, touchés par la haine, touchés par l'illusion, touchés par l'envie insatiable, touchés par l'attachement, sans vision, adonnés à la préférence et à l'opposition, et ils se régalent et jouissent de la prolifération. Ils sont pas libérés de la naissance, la vieillesse et la mort, de la tristesse, des lamentations, de la douleur, du chagrin et du désespoir; ils sont pas libérés de la souffrance, dis-je.

8. "Tous ermites ou brahmanes qui comprennent tels qu'ils sont réellement, l'origine, la disparition, la gratification, le danger et le moyen d'échapper dans le cas de ces deux vues sont sans désir charnel, sans haine, sans illusion, sans envie insatiable, sans attachement, avec vision, pas adonnés à la préférence et l'opposition, et ils ne se régalent et ne jouissent pas de la prolifération. Ils sont libérés de la naissance, la vieillesse et la mort, de la tristesse, des lamentations, de la douleur, du chagrin et du désespoir; ils sont libérés de la souffrance, dis-je.[*p.66]

9. "Bhikkhus, il y a ces quatre sortes d'attachement. Quelles quatre? L'attachement aux plaisirs des sens, l'attachement aux vues, l'attachement aux règles et observances, et l'attachement à une doctrine du Soi.

10. "Quoique certains ermites et brahmanes prétendent proposer la pleine compréhension de toutes sortes d'attachement, ils ne décrivent pas complètement la pleine compréhension de toutes sortes d'attachement.[7] Ils décrivent la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens sans décrire la pleine compréhension de l'attachement aux vues, de l'attachement aux règles et observances, et de l'attachement à une doctrine du Soi. Pourquoi cela? Ces bons ermites et brahmanes ne comprennent pas ces trois instances de l'attachement telles qu'elles sont réellement. En conséquence, quoiqu'ils prétendent exposer la pleine compréhension de toutes sortes d'attachement, ils ne décrivent que la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens sans décrire la pleine compréhension de l'attachement aux vues, l'attachement aux règles et observances, et l'attachement à une doctrine du Soi.

11. "Quoique certains ermites et brahmanes prétendent exposer la pleine compréhension de toutes sortes d'attachements... ils décrivent la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens et l'attachement aux vues sans décrire la pleine compréhension de l'attachement aux règles et observances et l'attachement à une doctrine du Soi. Pourquoi cela? Ils ne comprennent pas deux instances... en conséquence, ils ne décrivent que la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens et l'attachement aux vues sans décrire la pleine compréhension de l'attachement aux règles et observances et l'attachement à une doctrine du Soi.

12. "Quoique certains ermites et brahmanes prétendent exposer la pleine compréhension de toutes sortes d'attachements... ils décrivent la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens, l'attachement aux vues, et l'attachement aux règles et observances sans décrire la pleine compréhension de l'attachement à une doctrine du Soi. Ils ne comprennent pas une instance... en conséquence ils ne décrivent que la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens, l'attachement aux vues, et l'attachement aux règles et observances sans décrire la pleine compréhension de l'attachement à une doctrine du Soi.[8]

13. "Bhikkhus, dans un Dhamma-et-Discipline tel qu'il soit évident que la confiance en l'Enseignant n'est pas correctement donnée, que la confiance dans le Dhamma est pas correctement donnée, que les préceptes ne sont pas correctement respectés, et que l'affection entre compagnons dans le Dhamma n'est pas correctement donnée. Pourquoi cela? Parce que c'est ainsi qu'il en est quand le Dhamma-et-Discipline est[*p.67] mal proclamé et mal exposé, non-émancipant, n'entraînant pas la paix, exposé par qui n'est pas pleinement éveillé.

14. "Bhikkhus, lorsqu'un Tathagata, accompli et pleinement éveillé, affirme exposer la pleine compréhension de toutes sortes d'attachements, il décrit complètement la pleine compréhension de toutes sortes d'attachements: il décrit la pleine compréhension de l'attachement aux plaisirs des sens, l'attachement aux vues, l'attachement aux règles et observances, et l'attachement à une doctrine du Soi.[9]

15. "Bhikkhus, dans un Dhamma-et-Discipline tel qu'il soit évident que la confiance en l'Enseignant est correctement donnée, que la confiance dans le Dhamma est correctement donnée, que les préceptes sont correctement respectés, et que l'affection entre compagnons dans le Dhamma est correctement donnée. Pourquoi cela? Parce que c'est ainsi qu'il en est quand le Dhamma-et-Discipline est bien proclamé et bien exposé, émancipant, entraînant la paix, exposé par qui est pleinement éveillé.

16. "Or, qu'ont donc ces quatre sortes d'attachement pour leur source, pour leur origine, de quoi sont-ils nés et produits? Ces quatre sortes d'attachement ont l'envie insatiable pour source, l'envie insatiable pour origine, ils sont nés et produits de l'envie insatiable.[10] Qu'a l'envie insatiable pour source...? L'envie insatiable a la sensation pour source... Qu'a la sensation pour source...? La sensation a le contact pour source... Qu'a le contact pour source...? Le contact a la sextuple base pour source... Qu'a la sextuple base pour source...? La sextuple base a la mentalité-matérialité pour source... Qu'a la mentalité-matérialité pour source...? La mentalité-matérialité a la conscience pour source... Qu'a la conscience pour source...? La conscience a les formations pour source... Qu'ont les formations pour source...? Les formations ont l'ignorance pour source, l'ignorance pour origine; elles sont nées et produites par l'ignorance.

17. "Bhikkhus, lorsqu'on abandonne l'ignorance et que la véritable connaissance a surgi en un bhikkhu, alors avec l'effacement de l'ignorance et la montée de la véritable connaissance il ne s'accroche plus aux plaisirs des sens, ne s'accroche plus aux vues, ne s'accroche plus aux règles et observances, ne s'accroche plus à une doctrine du Soi.[11] Dès qu'il ne s'accroche plus, il n'est plus agité. Dès qu'il n'est plus agité, il atteint personnellement le Nibbana. Il comprend que: 'La naissance est détruite, la vie sainte a été vécue, ce qu'il y avait à faire a été fait, on ne viendra plus à aucun état de l'être.'"[12] [*p.68]

C'est ce que dit le Béni du Ciel. Les bhikkhus furent satisfaits et ravis des paroles du Béni du Ciel.


Notes

[*p.###] Les numéros de pages pris entre crochets dans le texte qui précède sont les numéros de pages de l'édition du texte pâli de la Pali Text Society.

1. Le Comm. explique que "rugissement de lion" (sihanada) signifie un rugissement suprême (setthanada), un rugissement sans peur (abhitanada), et un rugissement qu'on ne peut réfuter (appatinada). Il ajoute: Le rugissement à propos de l'existence de ces quatre types de reclus ici seulement est le rugissement suprême. L'absence de toute peur par rapport aux autres quand on avance une telle prétention en fait un rugissement sans peur. Comme aucun des enseignants rivaux ne peut se lever et dire, "Ces ermites existent aussi dans notre Règlement," c'est un rugissement qui ne peut être réfuté. [Retour]

2. Le Comm.: Quoique les adhérents des autres écoles déclarent tous que l'état d'arahant -- compris dans un sens général en tant que perfection spirituelle -- est le but, ils pointent vers d'autres réalisations en tant que but en accord avec leurs vues. C'est ainsi que les brahmanes déclarent que le Monde de Brahma est le but, les grands ascètes déclarent que ce sont les dieux de Radiance Ondoyante, les errants que ce sont les dieux de Gloire resplendissante, et les Ajivakas qu'il s'agit de l'état non-perceptif, dont ils affirment qu'il est "esprit infini" (anantamanasa). [Retour]

3. "La préférence et l'opposition" (anurodha-pativirodha): réagir avec attraction en vertu du désir charnel et avec aversion en vertu de la haine. [Retour]

4. La prolifération (papañca), selon le Comm., signifie généralement une activité mentale gouvernée par l'envie insatiable, l'orgueil et les vues, mais ici seule l'envie insatiable et vues sont entendues. [Retour]

5. L'adoption d'une vue qui entraîne l'opposition à d'autres liens en rapport avec l'affirmation précédente à l'effet que le but est pour quelqu'un qui ne préfère ni ne s'oppose. [Retour]

6. Le Comm. mentionne huit conditions qui servent d'origine (samudaya) de ces vues: les cinq agrégats, l'ignorance, le contact, la perception, la pensée, l'attention sotte, les mauvais amis, et la voix d'un autre. Leur disparition (atthangama) est la voie de l'entrée dans le courant, qui éradique toutes les vues fausses. On peut comprendre leur gratification (assada) en tant que satisfaction du besoin psychologique qu'entretient la vue, spécifiquement l'entretien de l'envie insatiable d'être par la vue éternaliste et de l'envie insatiable pour le non-être par la vue annihilationniste. Leur danger (adinava) réside dans l'esclavage permanent qu'elles impliquent, par obstruction de l'acceptation de la vue correcte, qui mène à la libération. Et le moyen de leur échapper (nissarana) est le Nibbana. [Retour]

7. Le Comm. glose ici le plein entendement (pariñña) en tant que réussite à surmonter (samatikkama), par rapport à la notion commentariale de pahanapariñña, " plein entendement en tant qu'abandon." [Retour]

8. Ce passage indique clairement que le facteur critique de différenciation du Dhamma du Bouddha est son " plein entendement de l'attachement à une doctrine du Soi." Ceci signifie en effet, que seul le Bouddha est capable de montrer comment surmonter toutes les vues du Soi par développement de la pénétration dans la vérité du Non-Soi (anatta). [Retour]

9. Le Comm.: Le Bouddha enseigne comment l'attachement aux plaisirs des sens est abandonné par la voie de l'état d'arahant, cependant que les trois autres types d'attachement sont éliminés par la voie de l'entrée dans le courant. La voie de l'entrée dans le courant élimine les trois autres attachements parce que ces trois choses sont toutes des formes de vue fausse, et toutes les vues fausses sont surmontées à ce stade. Quoique l'assertion à l'effet que l'attachement aux plaisirs des sens soit abandonné par la voie de l'état d'arahant puisse paraître étrange, en vue du fait que le désir sensuel est déjà éliminé par le non-retournant, le Tika (sous-commentaire) du sutta explique que dans le présent contexte, le mot kama, plaisir sensuel, doit être compris comme comprenant toute forme d'avidité, et les types plus subtils d'avidité ne sont éliminés qu'avec l'arrivée à l'état d'arahant. [Retour]

10. Ce passage est expliqué afin de montrer comment l'attachement doit être abandonné. L'attachement est retracé, via la chaîne de la coproduction conditionnée, à sa cause-racine dans l'ignorance, et ensuite la destruction de l'ignorance est démontré être le moyen d'éradiquer l'attachement. [Retour]

11. En langue pâlie, n'eva kamupadanam upadiyati, devrait être rendu littéralement par "il ne s'accroche pas à l'attachement aux plaisirs des sens," ce qui peut rendre le sens plus obscur que clair. Le mot upadana en pâli est l'objet de sa propre forme verbale, cependant que "l'attachement" en anglais (et en français ne l'est pas. La solution la plus facile serait de le traduire directement en accord avec le sens plutôt que de tenter de reproduire la forme idiomatique en traduction. [Retour]

12. Tel est la déclaration canonique standard de l'état d'arahant. [Retour]


Version anglaise d'origine:

http://accesstoinsight.org/canon/sutta/majjhima/mn011.html