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Majjhima Nikaya 13

Maha-dukkhakkhandha Sutta

Le grand discours
sur la masse du mal-être

D'après la traduction du Pali à l'Anglais par Thanissaro Bhikkhu et celle (italienne) de De Lorenzo.
Pour libre distribution. Cet ouvrage peut être republié, reformaté, réimprimé et redistribué par n'importe quel média. L'auteur désire cependant que toute ces republications et redistributions soient mises à disposition du public librement et sans restriction aucune, et que les traductions et autres travaux dérivés soient clairement identifiés comme tels.


Ainsi l'ai-je entendu.

Une fois le Béni du Ciel séjournait près de Sâvatthî, dans la Forêt du Vainqueur, le monastère d'Anâtapindika. Or, un jour de nombreux moines, s'étant préparés depuis un moment, pourvus de leurs manteaux et écuelles, se mirent en route pour la cité, pour l'aumône. Mais ils se dirent: 'Il est encore trop tôt pour aller quêter en ville; ne vaudrait-il pas mieux que pour l'instant nous visitions le jardin des pèlerins de haut niveau?' Et ainsi fut fait et ils échangèrent avec les autres de courtoises et amicales salutations, des paroles remarquables et ils s'assirent d'un côté. Et les pèlerins de haute volée, se tournant vers les moines, leur dirent: "L'ascète Gotama, mes frères, examine le désir sensuel à partir de ses fondations, et nous le faisons nous aussi; il examine aussi le corps et le sentiment à partir de leurs fondations: quelle limitation, quelle distinction et différence existe-t-il donc entre l'ascète Gotama et nous, autant par rapport à l'exposé que par rapport aux préceptes?"

Mais les moines, à ces paroles des pèlerins, sans se réjouir ni en ressentir de l'ennui, se levèrent et partirent, en disant: "Le Béni du Ciel nous donnera le sens de ces paroles".

Et ils allèrent à Sâvatthî, passèrent de maison en maison pour quêter leur nourriture, revinrent sur leurs pas, se nourrirent et se rendirent auprès du Béni du Ciel. Arrivés là, ils le saluèrent respectueusement et s'assirent près de lui en lui racontant ce qui leur était arrivé et rapportant ce qui leur avait été demandé par les pèlerins de haute volée.

Et le Bouddha répliqua: "A ces paroles des pèlerins, il fallait répondre:

"Que sont donc l'attrait, l'inconvénient et l'émancipation du désir sensuel? Que sont donc l'attrait, l'inconvénient et l'émancipation du corps et du sentiment?' Si vous les aviez questionnés ainsi, ces pèlerins n'auraient pas trouvé une réponse satisfaisante, ils auraient été au contraire embarrassés. Pourquoi? Parce qu'il s'agit là de quelque chose qu'ils ne savent pas interpréter. Je ne vois personne, ô moines, dans le monde avec ses dieux, ses bons et ses mauvais esprits, avec ses hordes d'ascètes et de brahmanes, de dieux et d'hommes, qui puisse, en expliquant ces questions, atteindre le coeur de la question, à l'exception de l'Ainsi-Venu, ou de l'un de ses disciples, et de ceux qui l'écoutent.

"Or quel est l'attrait du désir sensuel? Il y a, ô moines, ces cinq brins du désir sensuel. Quels cinq? Les formes connaissables au moyen de l'oeil -- agréables, plaisantes, charmantes, attachantes, qui induisent le désir, aguichantes. Les sons connaissables au moyen de l'oreille... Les arômes connaissables au moyen du nez... Les saveurs connaissables au moyen de la langue... Les sensations tactiles connaissables au moyen du corps -- agréables, plaisantes, charmantes, attachantes, qui induisent le désir, aguichantes. Or tout plaisir ou joie qui surgisse dépendamment de ces cinq brins du désir sensuel, c'est là l'attrait du désir sensuel.

"Et quel est l'inconvénient du désir sensuel? On a le cas où, étant donnée l'occupation par laquelle un homme de clan gagne sa vie -- que ce soit en vérifiant ou en faisant les comptes ou en calculant ou en labourant ou en faisant du commerce ou en gardant du bétail ou en étant archer ou en tant qu'homme du roi, ou quelque puisse être l'occupation -- il doit affronter le froid; il doit affronter la chaleur; être harassé par les moustiques, les mouches, le vent, le soleil, et des choses rampantes; mourir de faim et de soif.

"Or cet inconvénient dans le cas du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, a pour raison le désir sensuel, pour source le désir sensuel, pour cause le désir sensuel, la raison en étant tout simplement le désir sensuel.

"Si l'homme de clan n'en tire aucune richesse tout en travaillant ainsi et en s'efforçant et en faisant des efforts de la sorte, il se chagrine, il a de la peine et se lamente, bat sa coulpe, devient angoissé: 'Mon travail est vain, mes efforts sont inutiles!' Or cet inconvénient aussi dans le cas du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, a pour raison le désir sensuel...

"Si l'homme de clan en tire de la richesse tout en travaillant ainsi et en s'efforçant et en faisant des efforts de la sorte, il ressent de la douleur et de l'angoisse en la protégeant: 'Comment empêcherai-je rois ou voleurs de s'emparer de mais propriété, le feu de la brûler, l'eau de l'emporter ou des héritiers haineux de s'en emparer?' Et comme ainsi il garde et surveille sa propriété, rois ou voleurs de s'en emparer, ou le feu de la brûler, ou l'eau de l'emporter, ou des héritiers haineux de s'en emparer. Et il se chagrine, il a de la peine et se lamente, bat sa coulpe, devient angoissé: 'Ce qui était mien n'est plus!' Or cet inconvénient aussi dans le cas du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, a pour raison le désir sensuel...

"Qui plus est, c'est avec le désir sensuel pour raison, le désir sensuel pour source, le désir sensuel pour cause, la raison en étant tout simplement le désir sensuel, que les rois se querellent avec les rois, les nobles avec les nobles, les prêtres avec les prêtres, les maîtres de maison avec les maîtres de maison, la mère avec l'enfant, l'enfant avec la mère, le père avec l'enfant, l'enfant avec le père, le frère avec le frère, la soeur avec la soeur, le frère avec la soeur, la soeur avec le frère, l'ami avec l'ami. Et puis dans leurs querelles, bagarres, et disputes, ils s'attaquent mutuellement avec les poings ou avec des gourdins ou avec des bâtons ou avec des couteaux, de sorte qu'ils s'exposent à la mort ou à des douleurs mortelles. Or cet inconvénient aussi dans le cas du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, a pour raison le désir sensuel...

"Qui plus est, c'est avec le désir sensuel pour raison, le désir sensuel pour source... que (les hommes), prenant épées et boucliers et bouclant arcs et carquois, montent à l'assaut en double ordre de bataille cependant que volent flèches et lances et flamboient les épées; et là ils sont blessés par flèches et lances, et leurs têtes sont tranchées par les épées, de sorte qu'ils s'exposent à la mort ou à des douleurs mortelles. Or cet inconvénient aussi dans le cas du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, a pour raison le désir sensuel...

"Qui plus est, c'est avec le désir sensuel pour raison, le désir sensuel pour source... que (les hommes), prenant épées et boucliers et bouclant arcs et carquois, montent à l'assaut de bastions glissants cependant que volent flèches et lances et flamboient les épées; et là ils sont éclaboussés de bouses de vache bouillantes et écrasés sous de lourds poids, et leurs têtes sont tranchées par les épées, de sorte qu'ils s'exposent à la mort ou à des douleurs mortelles. Or cet inconvénient aussi dans le cas du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, a pour raison le désir sensuel, pour source le désir sensuel, pour cause le désir sensuel, la raison en étant tout simplement le désir sensuel.

"Qui plus est, c'est avec le désir sensuel pour raison, le désir sensuel pour source... que (les hommes) font irruption dans les maisons, ravissent ceux qui sont chers aux autres, volent, trompent, séduisent les épouses. Et les rois font arrêter ceux-là et les condamnent à des peines et des tourments tels que: coups de fouet, des bâtons, de verges; amputations de la main, du pied ou des deux; amputation des oreilles, du nez, ou des deux; tourments comme la casserole des pâtes, le raclement avec des coquilles, la bouche du dragon, la couronne de poix, la main en brandon; courir sur les aiguillons, gir sur les écorces, la veste de brosses; la chair à hameçon, le poids en monnaies, la corrosion à la lessive; le rouleau, le caillebotis de paille; l'irrigation à l'huile bouillante, le déchiquetage par des chiens, l'empalement, la décapitation. Et donc elles se précipitent vers la mort ou les douleurs mortelles. Mais cela, ô moines, est l'inconvénient du désir sensuel, cette masse de stress visible ici et maintenant, qui a pour raison le désir sensuel, pour source le désir sensuel, pour cause le désir sensuel, la raison en étant tout simplement le désir sensuel.

Et, toujours à cause du désir sensuel, ils poursuivent sur la mauvaise route en actions, en paroles et pensées; ainsi parviennent ils, à la dissolution du corps, après la mort, sur de mauvaises routes, à se perdre et à se damner.

"Et quelle est l'émancipation du désir sensuel? Tout ce qui est l'assujettissement de la passion et du désir, l'abandon de la passion et du désir pour le désir sensuel, voilà quelle est l'émancipation du désir sensuel."

Mais ces ascètes ou brahmanes qui ne connaissent pas, conformément à la vérité, l'attrait, l'inconvénient et l'émancipation du désir sensuel, il n'est pas possible qu'ils comprennent le désir sensuel ou qu'ils guident quelqu'un d'autre à le faire. Alors que vous, ô moines, qui connaissez, conformément à la vérité, le désir sensuel, vous pouvez le faire.

Or quel est, ô moines, l'attrait du corps? Par exemple une fille de princes, ou une vierge brahmane, ou une jeune fille bourgeoise, dans la fleur de ses quinze ou seize ans, ni trop grande ni trop petite, ni trop fine ni trop forte, ni trop brune ni trop pâle: ne paraît-elle pas d'une splendide beauté au moment de sa plus grande magnificence?

"Certainement, Seigneur!"

Ce qu'il y a de désirable et d'agréable dans cette beauté splendide, c'est l'attrait du corps.

Mais qu'est-ce que l'inconvénient du corps? Voyons donc cette même soeur à un autre moment, quand elle aura quatre-vingts, quatre-vingt-dix ou même cent ans, courbée, éreintée, épuisée, se déplacer en tremblant, appuyée sur des béquilles, émaciée, flétrie, édentée, le boucles blanchies ou la tête chauve, vacillant, ridée, la peau pleine de taches: qu'en pensez-vous, ô moines? N'est-ce pas que ce qui fut jadis une splendide beauté a disparu, et que l'inconvénient en est devenu évident?

"Certes, Seigneur!"

C'est là l'inconvénient du corps. Et encore: observez cette soeur infirme, souffrante, gravement malade, gisant souillée de fèces et d'urine, soulevée par d'autres, soignée par d'autres: qu'en pensez-vous, ô moines? N'est-ce pas que ce qui fut jadis une splendide beauté a disparu, et que l'inconvénient en est devenu évident ?

" C'est ainsi, Seigneur!"

Cela aussi, c'est l'inconvénient du corps. Imaginez encore cette soeur, le corps au cimetière, un, deux, trois jours après la mort, gonflé, noirci, putréfié: qu'en pensez-vous? N'est-ce pas que ce qui fut jadis une splendide beauté a disparu, et que l'inconvénient en est devenu évident?

"Ainsi en est-il, Seigneur!"

Qui plus est: imaginez, ô moines, son corps au cimetière, déchiré par les corneilles, les corbeaux et les vautours, déchiqueté par les chiens et les chacals, rongé par plusieurs sortes de vers.

Qui plus est: le squelette avec des morceaux de chair attachée, souillé de sang, maintenu ensemble par les tendons; ou bien le squelette sans chair, maintenu ensemble par les tendons; ou bien les os, sans les tendons, éparpillés çà et là; là un os de la main, là un os du pied, là un tibia, là un fémur, ici un bassin, là des vertèbres, ici le crâne. Et encore ses os blanchis, de la couleur des coquillages; passé un an, les os amoncelés; les os, putréfiés, tombés en poudre: qu'en pensez-vous, ô moines? N'est-ce pas que ce qui fut jadis une splendide beauté a disparu, et que l'inconvénient en est devenu évident?

"Oui, Seigneur!"

C'est là l'inconvénient du corps, mais qu'est-ce que l'émancipation du corps? Ce qui dans le corps, ô moines, est reniement de la volonté et du désir, anéantissement de la volonté et du désir, cela est l'émancipation du corps.

Mais les ascètes ou les brahmanes qui ne connaissent pas ainsi, conformément à la vérité, l'attrait, l'inconvénient et l'émancipation du corps, il n'est pas possible qu'ils comprennent le corps ou puissent guider quelqu'un d'autre jusqu'à l'amener à le comprendre. Mais vous, ô moines, qui avez compris, conformément à la vérité, vous pouvez le faire.

Or quel est l'attrait du sentiment? Un moine, détaché du désir sensuel, détaché des choses qui ne sont pas salutaires, en heureuse sérénité sentie, pensée, née de la paix, atteint le premier jhâna. Lui, à ce point, ne dépend pas de lui-même ni ni d'autres, et n'éprouve qu' un sentiment d'indépendance. L'indépendance, dis-je, ô moines, est le plus grand attrait du sentiment.

Ensuite, ô moines, après l'accomplissement du sentir et du penser, un moine atteint le calme intérieur, l'unité de l'âme, la sérénité libre et heureuse née du recueillement, libre du sentir et du penser; atteint le second jhâna. Lui, à ce point, ne dépend pas de lui-même ni ni d'autres, et n'éprouve qu'un sentiment d'indépendance. L'indépendance, dis-je, ô moines, est le plus grand attrait du sentiment.

Qui plus est, ô moines: un moine se trouve en paix sereine, équanime, sage, clairement conscient, et il éprouve dans le corps ce bonheur dont les saints disent: 'Le sage équanime vit heureux'; ainsi il atteint le troisième jhâna. Quand cela se produit, il ne dépend pas de lui-même ni ni d'autres, et n'éprouve qu' un sentiment d'indépendance. L'indépendance, dis-je, ô moines, est le plus grand attrait du sentiment.

Qui plus est, ô moines: après le rejet des joies et des douleurs, après l' anéantissement de l'allégresse et de la tristesse, un moine atteint la pureté équanime, sage et parfaite, le quatrième jhâna. Quand cela se produit, il ne dépend pas de lui-même ni ni d'autres, et n'éprouve qu' un sentiment d'indépendance. L'indépendance, dis-je, moines, est le plus grand attrait du sentiment.

Or quel est l'inconvénient du sentiment? Ce qu'il en est d'un sentiment caduc, douloureux, changeant, c'est là l'inconvénient du sentiment.

Et l'émancipation du sentiment? Ce qui dans le sentiment est reniement de la volonté et du désir, anéantissement de la volonté et du désir, cela est l'émancipation du sentiment. Mais il n'est pas possible que les ascètes ou les brahmanes qui ne connaissent pas, conformément à la vérité, l'attrait, l'inconvénient et l'émancipation du sentiment, comprenne il sentiment lui-même ou guident quelqu'un d'autre à le faire.Il est au contraire possible que les ascètes ou les brahmanes qui connaissent ainsi, conformément à la vérité, tout cela, comprennent le sentiment lui-même ou en guident un autre à le faire.

Ainsi parla le Béni du Ciel. Satisfaits, les moines se réjouirent de ses paroles.



Version anglaise d'origine:

http://www.accesstoinsight.org/canon/majjhima/mn013.html